Rencontre avec Yves Belenfant, Artiste Peintre né à Vannes
Rencontres
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Peintre breton, Yves Belenfant nous a ouvert les portes de son atelier vannetais. A l’occasion de son exposition « Peintures 2023-2024 », qui se tiendra du 8 au 23 décembre à Arradon, il nous a fait le privilège de partager avec nous son histoire, son parcours et son approche de la peinture, un art qui l’anime depuis toujours. Une belle et inspirante rencontre Demeures Marines que nous vous invitons à découvrir.
Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis peintre et je vis et travaille à Vannes depuis toujours. Après avoir fait l’École des Beaux-Arts de Lorient, j’ai entrepris de présenter mes peintures via un parcours d’exposition dans des galeries, à Vannes bien sûr mais aussi dans toute la Bretagne, à Paris et à l’étranger. Un parcours riche et diversifié qui m’a conduit à exposer au Musée de la Cohue à Vannes, au F.R.A.C. Bretagne à Rennes, à la Galerie Beau Lézard, la galerie le « Studio Kostel » et plus récemment à la galerie « Scrawitch » à Paris, à Bologne en Italie avec la galerie Beau Lézard (Les Couleurs France en 1987) entre autres. Découvrir toutes les références en cliquant-ici.
Comment est née votre vocation pour la peinture ?
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours dessiné, gribouillé. Je ne sais pas si cela peut expliquer certaines choses mais enfant j’étais asthmatique. Je restais immobilisé pendant de longues heures, assis. Le dessin occupait alors une place importante dans ma vie, cela me permettait d’occuper de longue séquence d’immobilité, d’extérioriser des choses et cette pratique ne m’a jamais quitté. J’ai retrouvé récemment une petite gouache réalisée à l’âge de 13 ans et c’est très frappant de constater que le sujet du paysage et son traitement sont très proche du travail d’aujourd’hui …
La peinture m’a toujours attiré et cela a sûrement été encouragé par le milieu dans lequel j’évoluais. Quand j’étais jeune, mon père était très ami avec Robert Damilot, décorateur et artiste peintre qui a créé le cinéma l’Eden, alors appelé « L’Universel ». Cet homme évoluait dans le quartier de Saint-Germain à Paris et fréquentait des artistes comme Utrillo, de Vlaminck, Giacometti et bien d’autres. Son appartement vannetais regorgeait d’œuvres des figures de l’art de cette époque et d’y avoir accès, en toute simplicité, a certainement influencé le choix de la voie des Beaux Arts. À l’époque, les artistes étaient des personnes très accessibles avec lesquels il était très facile d’échanger. J’allais le voir pour lui montrer mon travail, il me donnait son avis et des conseils, c’est un beau souvenir.
Y a-t-il eu une œuvre ou un artiste qui vous a particulièrement influencé ?
Je suis de nature très curieux, j’ai toujours regardé énormément de choses. Je ne peux pas tous les citer mais Titien, Giotto, les maîtres du Quattrocento (Masaccio, Fra Angelico, Filippo Brunelleschi, Donatello, Andrea Mantegna, Giovanni Bellini…), les peintres de la Renaissance italienne (Piero della Francesca, Paolo Uccello, Gorgione )… mais aussi Paul Cézanne, Henri Matisse, Paul Gauguin, Jean-Baptiste Camille Corot, Émile Bernard, Paul Sérusier, Vincent Van Gogh… Ces artistes et tant d’autres m’ont nourri, je suis une véritable « éponge ». Je regarde la peinture, la nature beaucoup et la lecture est aussi une activité très importante. Je me nourris de tout : je pourrais prendre à mon compte cette citation de Paul Valery « du pain et des livres » en y ajoutant « …et de la peinture ».
Le Golfe du Morbihan
Je suis né dans le Golfe du Morbihan en Bretagne et cela a façonné mon regard. Notre maison de famille se situait à Arzon sur la Presqu’île de Rhuys, côté Golfe du Morbihan. De ma fenêtre, je voyais le cairn de Gavrinis, le célèbre site mégalithique, joyau de la préhistoire. Le paysage de mon enfance est constitué de ces cailloux chargés d’histoires… mon père était passionné par les pierres et je pense qu’il m’a transmis son virus. Pour la petite histoire, cette fascination pour la préhistoire et les pierres m’ont conduit pendant près de 20 ans à gérer le cairn de Gavrinis et du Petit-Mont. Évoluer sur ces sites m’a réellement inspiré et m’inspire toujours.
Comment définiriez-votre peinture ?
Je ne la définit pas. Je ne nomme pas mes œuvres. Si je devais utiliser un mot, cela serait « paysage » mais dans un sens élargi. Mes peintures évoquent des paysages mais cela va aussi au-delà, ce sont des émotions suscitées, des lumières renouvelées, une intention à un instant précis, une sensation, un souvenir, des moments partagés, des choses qui ont pu me marquer de façon consciente ou non qui émergent. J’ai coutume de dire et de penser qu’il n’y a rien de rationnel, c’est la peinture, la matière elle-même qui guide. Je ne sais jamais ce que je vais peindre quand je commence à travailler et encore moins comment ça va se terminer. Je crois qu’il y a quelque chose comme de la transcendance, je ne maîtrise pas grand chose, cela me dépasse souvent.
Dans ce processus d’élaboration je garde une forte capacité d’émerveillement.
Il suffit d’ouvrir les yeux, pour moi tout ce qui nous entoure est extra-ordinaire, même dans ce qu’on peut qualifier à prime abord « d’ordinaire ».
Je donne à voir dans mes peintures ce que je perçois, ce que j’ai pu percevoir hier comme il y a 20 ans, souvent de façon inconsciente, ça remonte à la surface, ça émerge, ça redevient nouveau…
Votre processus créatif
Quand je peins une toile, je crée un moment donné un espace de chaos dans lequel j’évolue et dont j’essaye de m’extirper. Je recherche un équilibre, je suis en mouvement, pris dans un maelström, je peux y travailler pendant 4, 5 jours voir deux semaines ou plus… à un moment tout s’achève ; rien à ajouter… La peinture me consume et me fait. Je pense que ce processus créatif a à voir avec quelque chose de l’ordre de la « grâce ». La peinture est une matière vivante, je m’abandonne à elle. Le lâcher-prise est essentiel.
Explorer l’infini et la nature
Comme tout artiste, je suis profondément curieux, et j’aime interroger, explorer le champ des possibles. La préhistoire est une période qui me fascine, dans son rapport à la nature au cosmos, dans sa façon d’être dans le monde, de le poétiser. Je suis un lecteur besogneux, tout m’inspire les cultures anciennes, la philosophie et la théologie etc..
Cette citation du présocratique d’Ephèse, Héraclite,« On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve », m’a souvent inspiré. Ce philosophe du 6ème siècle avant J.-C pense que tout est en perpétuel changement, les êtres vivants comme le cosmos. Cette métaphore de l’espace et du temps inscrit l’idée que rien ne demeure jamais identique, nous sommes en constante évolution. Cela résonne profondément avec ma pratique de la peinture. Entre la première et la seconde baignade, l’eau n’est plus la même par contre le lit du fleuve est inchangé ; jolie métaphore, l’espace est le théâtre du temps qui passe et ne s’arrête jamais. La peinture est ce cadre qui accueille tous les bouleversements, toutes les sédimentations successives du temps qui passe infiniment, toujours et à jamais.
La peinture
Je suis peintre, c’est la pratique de la peinture qui me définis. C’est un monde, le mien. A contre-courant dans une société où tout est concept et doit s’expliquer, rentrer dans des cadres, je travaille là ou la raison raisonnable perd pied et je le revendique.
La peinture, c’est la matière à l’état pur, c’est une matière fluide, presque vivante, non raisonnable. Quand je prends mon pinceau, la raison s’efface et j’ai une certaine humilité face à cette énergie qui me prends littéralement et qui guide mes gestes. Il faut essayer d’être le plus honnête possible et se laisser emporter.
La peinture est aussi un retour à un temps long, c’est de la sédimentation. La notion de temps est très paradoxalement au cœur de cette pratique. C’est le temps de la vie, de ce que nous sommes. Nous sommes nous-même le résultat de sédimentations successives.
Quelles œuvres allez-vous présenter à l’occasion de cette nouvelle exposition ?
Les peintures que je vais présenter sont des représentations de la nature telle que je la vois et la ressens. C’est un travail ou la peinture doit faire émerger quelque chose qui est de l’ordre de l’évènement « un surgissement » qui doit créer une émotion à celui qui le contemple. Mes œuvres résultent d’un état de « grâce », d’une transcendance qui m’échappe totalement qui peut s’apparenter au « don » et au « re- don »; re-donner ce que l’on a reçu. Une peinture doit mettre en branle des émotions chez la personne qui la regarde. Il y a quelque chose qui se passe entre l’œuvre et la personne et c’est cela qui fait la puissance de la peinture et qui me fascine.
Quel est votre leitmotiv ?
Ce qui est mon moteur en tant que peintre est d’essayer de comprendre qui je suis, de questionner le sens des choses et de ma vie tout simplement. La peinture, c’est une recherche perpétuelle, un chemin à parcourir. Je suis souvent dans la position du scientifique face à l ‘« x » inconnue. Je suis en constante recherche d’équilibre, ce travail est obsessionnel, je pense tout le temps à ma peinture, elle m’habite et me définit littéralement !
Une devise pro/perso
Ma devise est « pas de compromis ! ». La peinture est tout sauf un compromis, il faut être et rester vrai dans le travail en s’appuyant fermement sur le réel sinon rien ne passe : aucune émotion possible.
Quel est votre art de vivre à l’ouest ?
Je suis né, j’ai grandi et je vis dans le Golfe du Morbihan. La Bretagne, et particulièrement le Golfe du Morbihan, est un territoire extraordinaire, des éléments naturels forts, une histoire millénaire inscrite dans ses paysages. Sa géologie est le fruit de puissances telluriques mises en branle il y a des milliers d’années dont les derniers soubresauts, qui datent de la formation des Alpes, ont façonnés le territoire que nous connaissons aujourd’hui. Il y a 15 000 ans les hommes chassaient le mammouth dans la Baie de Quiberon qui n’était alors qu’une vaste plaine.
Cette puissance de la nature, nous la ressentons toujours et cela nous remet à notre place : nous ne sommes que des passants et nous nous adaptons à elle. Je puise mon inspiration dans ce territoire extraordinaire situé « au bout d’un bout ». J’ai des amis peintres un peu partout dans le monde. Ils connaissent mon travail mais pas forcément mon lieu de vie. Quand ils viennent me visiter et qu’ils découvrent la maison de mon enfance à Arzon, ils accèdent à d’autres niveaux de lecture de ma peinture.
Le Golfe du Morbihan est habité de lumières, de monuments de pierre, d’histoires… qui me transcendent. Je suis profondément reconnaissant de vivre ici et de partager l’énergie bretonne à travers mes peintures.
Quelle est votre connexion avec Demeures Marines ?
Avec mon épouse, nous avons rencontré Maud et Patrice par l’intermédiaire d’amis communs à l’occasion d’un dîner. Quelques temps après, nous leur avons confié la vente de notre première maison à Vannes. Cette collaboration a marqué le début d’une belle amitié qui dure depuis plus de 13 ans maintenant.